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Channel: Marie.J – Les Soirées de Paris
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Dans l’intimité de la nuit des rois

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Dans les librairies, les rayonnages théâtre, s’ils ne sont pas les plus volumineux, regorgent de mille récits d’expériences diverses, signés de metteurs en scène, d’acteurs, d’auteurs, de costumières – qui sont plus rarement des costumiers. Alors pourquoi s’enquérir de ce nouvel arrivé «Les nuits d’amour sont transparentes pendant la nuit des rois» signé de Denis Podalydès ? D’abord parce que le théâtre est une source d’inspiration qui ne s’épuisera pas et c’est tant mieux. Ensuite parce que Denis Podalydès n’est pas seulement un excellent acteur, c’est aussi un écrivain. Enfin, parce que pénétrer page après page dans les coulisses de la Comédie Française où, en 2018, Thomas Ostermeier montait «La nuit des rois» est une plongée par effraction dans une folle spirale de créativité, semée de doutes et d’enthousiasme, portée moins par des individus-acteurs que par une troupe qui fait corps avec le projet. Évidemment, tout au long de ces 250 pages, l’auteur de ces lignes s’est mordu les doigts de n’avoir pas vu le spectacle. Mais au bout de ces 250 pages, on a vu mille autres choses qui ne se voient pas depuis les fauteuils de la salle Richelieu.

À travers l’œil de Podalydès, nous voici dans l’intimité d’un spectacle vue par les yeux d’un acteur qui ne s’auto-complaît pas. Il consent à livrer ses doutes : sera-t-il retenu ou non par Ostermeier après l’audition ? pourquoi ne sait-il plus faire la fête les soirs de première: parce qu’il est vieux ou parce qu’il faut bien se l’avouer un jour, il n’a jamais été qu’un fêtard d’emprunt ? Les questions sont mineures mais elles viennent en miroir des incertitudes de l’acteur qui doit se plier aux exercices collectifs qu’impose le metteur en scène, qui doit accepter qu’il sera vêtu d’un string et d’une cape transparente, lui qui aurait préféré se montrer plus couvert, qui doit laisser vivre les mots trop appris et trop sus et se faire oublier lui-même.

Podalydès avoue avoir été un peu chiffonné lorsque Eric Ruf, administrateur de la Comédie Française, a évoqué le projet confié à Ostermeier. Depuis des années, Podalydès rêve de mettre en scène justement cette pièce-là. En plus, grâce à une mère professeur d’anglais, il a adopté cette langue – langue «de ma mère» et non pas maternelle – au point qu’il lit, relit et re-relit tout Shakespeare, qu’il en connaît toutes les traductions, et que, parfois, pour apprendre le texte proposé par le traducteur Olivier Cadiot, il le répète en anglais. Mais ce n’était pas son tour. Si le projet doit être monté par un autre, Podalydès veut en être. Et il se glisse dans les mains et dans la tête du sculpteur Ostermeier. Il sera souvent dérouté, gêné mais il laissera faire. À chacun son métier. La confiance donnée est donnée.

  Une fois seulement, l’acteur aura l’audace de proposer un aménagement. Enfin presque. L’idée lui vient alors qu’il est sur son balcon en train de faire du vélo d’appartement. Il pédale comme un dingue : «je veux dire mon texte dans le souffle, à la suite, sans intention, sans intonation, moulinant fort, voûté ou en danseuse, immobile ou à fond de train.» Et là, sur son vélo, il imagine une lettre qu’il écrirait au metteur en scène, lui proposant de mêler répliques en français et en anglais et de réintégrer une chanson qui a été remplacée par une autre. Emballé par ses pédales, Podalydès écrit cette lettre fictive. Puis : «je finis de pédaler, en nage, je bois un quart de litre d’eau. Mon élan s’évanouit avec l’effort qui s’exténue. Je ne finis pas la lettre.»

Comme toute la troupe, Podalydès se fait pâte modelée et observe le metteur en scène qui pétrit la pièce qu’il aurait tant voulu tenir dans ses propres mains. Tout ce qu’il écrit de cette expérience, traduit le respect et l’admiration de l’acteur qui accepte les partis pris, cherche à comprendre la méthode et, enfin, s’émerveille du résultat. Ce travail intense et fasciné n’épargne à personne les épisodes inquiets : la gorge sèche, les mots qui s’échappent, le rythme des pas qui dérive, les répétitions décevantes. Mais les moments d’éblouissement sont tout aussi puissants.

Podalydès fait de ses lecteurs de petites souris accueillies dans la transparence de ces nuits où les rois sont interchangeables, dans l’effervescence d’un travail patient, méthodique, enthousiaste – mais pas exalté : le travail d’une troupe exceptionnelle. Il donne à voir l’énergie et à sentir l’engagement, et pas seulement le sien, loin s’en faut. Il y a beaucoup de respect dans ce livre. «Je n’ai connu la peur à aucun instant des répétitions. Au contraire : une confiance absolue, une joie dénuée de toute inquiétude morbide, ce qui ne m’est pas tout à fait habituel.»

Marie J

 

« Les nuits d’amour sont transparentes pendant la nuit des rois ». Denis Podalydès. 247 pages. La librairie du XXIè siècle. Éditions Seuil.


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